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Burn-out au travail : un défi collectif, ici et ailleurs

Fatima-zahra Hannoun, Experte en Management (lauréate de l’ENCG MAROC), doctorante en sciences de gestion, Licence en sociologie.

L’épuisement professionnel, ou burn-out, est devenu un véritable fléau dans le monde du travail contemporain. Aux États-Unis, une étude récente révèle que 66 % des salariés pourraient être concernés par ce mal dès 2025, un chiffre alarmant qui n’a jamais été atteint auparavant. Ce sont surtout les jeunes adultes, âgés de 18 à 34 ans, qui en souffrent le plus, puisqu’ils sont plus de 80 % à déclarer être épuisés par leur travail, contre moins de la moitié chez les salariés de plus de 55 ans.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’ampleur de ce phénomène. Nombreux sont ceux qui dénoncent une surcharge de travail, un manque criant de ressources, ou encore une accumulation de responsabilités difficile à gérer, notamment dans un contexte économique incertain. Par ailleurs, l’irruption de l’intelligence artificielle dans le monde du travail suscite également des inquiétudes, notamment chez les plus jeunes, dont un quart craignent que cette technologie ne remplace leur emploi, bien que certains reconnaissent en parallèle ses effets positifs sur la productivité. Malgré cela, certaines entreprises américaines imposent encore le retour au bureau sans prendre en compte les situations personnelles des employés, ce qui accentue considérablement le stress et la pression au quotidien.

En parallèle, les spécialistes insistent sur la nécessité de mieux comprendre ce qu’est réellement le burn-out. Christina Maslach, professeure de psychologie et auteure de l’outil d’évaluation « Maslach Burnout Inventory », rappelle que ce phénomène dépasse largement la simple fatigue. Il s’agit d’un déséquilibre profond, à la fois personnel et organisationnel, qui se manifeste à travers trois dimensions majeures : l’épuisement, le cynisme et le sentiment d’inefficacité. Reconnaître ces signaux constitue une première étape indispensable pour agir. Le cynisme, par exemple, peut se traduire par une irritation croissante, un détachement affectif du travail ou une tendance à accomplir uniquement le strict minimum. L’inefficacité, quant à elle, se manifeste souvent par une perte de confiance en ses compétences, une baisse notable de la productivité, voire des troubles mentaux plus graves.

Au Maroc, les signes du burn-out sont tout aussi préoccupants, bien que le sujet demeure encore peu discuté publiquement. Une étude réalisée auprès des chirurgiens-dentistes de la région Rabat-Salé-Kénitra révèle que près de 40 % d’entre eux présentent un burn-out sévère. Leurs difficultés sont multiples : sentiment d’isolement professionnel, difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle, et manque d’accompagnement adapté. Dans le secteur de la santé publique, particulièrement mis à l’épreuve lors de la pandémie de COVID-19, une enquête menée auprès des professionnels des unités de veille sanitaire à travers le pays montre que plus de huit travailleurs sur dix présentent des signes de burn-out, dont un quart dans un état avancé. Les personnes les plus touchées sont souvent âgées de plus de 40 ans, sont des Hommes, mariées, et exercent dans des conditions intensives, marquées par de longues heures de travail et une surcharge de gardes.

Ce qui ressort de ces enquêtes, tant au Maroc qu’aux États-Unis, c’est un ensemble de causes convergentes : surcharge de travail, manque de reconnaissance, absence de soutien organisationnel, et climat professionnel dégradé. Mais le Maroc connaît aussi des spécificités culturelles et structurelles qui aggravent la situation. La pression familiale, par exemple, est particulièrement forte, notamment pour les femmes et les personnes mariées, qui doivent assumer à la fois un travail exigeant et des responsabilités domestiques. À cela s’ajoute la pénurie chronique de personnel et de matériel, notamment dans le secteur public, qui augmente considérablement la charge mentale et physique des professionnels.

Face à ce constat, il devient essentiel de rappeler que le burn-out n’est pas une faiblesse individuelle ou un simple manque de résistance, mais bien le symptôme d’un dysfonctionnement structurel. Il est le reflet d’une organisation du travail inadaptée, d’un manque de reconnaissance et de ressources, et d’un déséquilibre global entre les attentes professionnelles et les capacités réelles des individus. Il se manifeste par un épuisement profond, une forme de détachement émotionnel vis-à-vis de son travail, et un sentiment d’inefficacité qui mine progressivement l’estime de soi.

Pour répondre à cette crise silencieuse, plusieurs pistes d’amélioration sont évoquées par les professionnels marocains : une répartition plus équitable de la charge de travail, de meilleures conditions matérielles, un renforcement de la communication interne et de la reconnaissance au sein des équipes. Le travail collaboratif, en opposition à l’isolement, apparaît également comme une stratégie efficace pour retrouver du sens et du soutien dans l’exercice de sa profession. Aux États-Unis, certaines entreprises ont commencé à intégrer ces problématiques dans leur gestion des ressources humaines, en encourageant notamment la prise de congés pour préserver la santé mentale des employés, ou en créant des environnements d’apprentissage moins axés sur la pression et plus ouverts à l’épanouissement individuel.

Au Maroc, une approche globale reste encore à construire. Il est urgent que la question de la santé mentale au travail soit pleinement intégrée dans les politiques publiques et les stratégies des entreprises. Cela implique une meilleure gestion du temps de travail, une amélioration des conditions d’exercice, et une reconnaissance sincère et durable des efforts fournis par les salariés.

Le burn-out ne doit en aucun cas être une fatalité. Avec une prise de conscience collective et des actions concrètes, il est possible d’imaginer un avenir où la performance professionnelle va de pair avec le bien-être des travailleurs. Il s’agit là d’un défi majeur, qui nécessite des réformes organisationnelles profondes, mais aussi un véritable changement de culture au sein de nos entreprises, ici comme ailleurs.

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